Notions preliminaires. Le mot

NOTIONS PRÉLIMINAIRES. LE MOT
CHAPITRE I
1. NOTIONS PRÉLIMINAIRES
§ 1. Objet d’étude de la lexicologie.
§ 2. Les aspects synchronique et diachroniquedes études lexicologiques.
§ 3. Le vocabulaire en tant que système.
CHAPITRE II
2. LE MOT
§ 1. Le mot — unité fondamentale de lalangue.
§ 2. Le mot (son enveloppe matérielle) etla notion.
§ 3. La signification en tant que structure.
§ 4. Le sens étymologique du mot.
§ 5. Caractéristique phonétiquedes mots en français moderne.
§6. Caractéristique grammaticale du moten français moderne.
§ 7. L’identité du mot.

CHAPITRE I
NOTIONS PRÉLIMINAIRES
§ 1. Objet d’étude de la lexicologie.Le terme « lexicologie », de provenance grecque, se. compose de deux racines: «lexic(o)” de « lexikon » qui signifie « lexique » et « log » de « logos »qui veut dire « mot, discours, traité, étude ».
En effet, la lexicologie a pour objetd’étude le vocabulaire ou le lexique d’une langue, autrement dit. l’ensembledes mots et de leurs équivalents considérés dans leurdéveloppement et leurs liens réciproques dans la langue.
Le vocabulaire constitue une partieintégrante de la langue. Aucune langue ne peut exister sans mots. C’estd’après la richesse du vocabulaire qu’on juge de la richesse de lalangue en entier. De là découle l’importance des étudeslexicologiques.
La lexicologie peut être historiqueet descriptive, elle peut être orientée vers une ou plusieurslangues. La lexicologie historique envisage le développement duvocabulaire d’une langue des origines jusqu’à nos jours, autant direqu’elle en fait une étude diachronique. Elle profite largement desdonnées de la linguistique comparée dont une des tâches estla confrontation des vocables de deux ou plusieurs langues afin d’enétablir la parenté et la généalogie.
La lexicologie descriptives’intéresse au vocabulaire d’une langue dans le cadre d’unepériode déterminé, elle en fait un tableau synchronique. Lalexicologie descriptive bénéficie des études typologiquesqui recherchent non pas à établir des généalogies,mais à décrire les affinités et les différencesentre des langues indépendamment des liens ‘de parenté.
Il n’y a guère de barrièreinfranchissable entre la lexicologie descriptive et la lexicologie historique,vu qu’une langue vivante envisagée à une époquedéterminée ne cesse de se développer.
Ce cours de lexicologie sera une étudedu vocabulaire du français moderne, considéré comme unphénomène dyna mique.
Notons que la lexicologie est une sciencerelativement jeune qui offre au savant un vaste champ d’action avec maintessurprises et., découvertes.
§ 2. Les aspects synchronique etdiachronique des études lexicologiques. La langue prise dans sonensemble est caractérisée par une grande stabilité. Pourtantelle ne demeure pas immuable. C’est en premier lieu le vocabulaire qui subitdes changements rapides, se développe, s’enrichit, se perfectionne aucours des siècles.
La lexicologie du français moderneest orientée vers le fonctionnement actuel des unités lexicalesen tant, qu’éléments de la communication. Cependant la nature desfaits lexicologiques tels qu’ils nous sont parvenus ne saurait êtreexpliquée uniquement à partir de l’état présent duvocabulaire. Afin de pénétrer plus profondément lesphénomènes du vocabulaire français d’aujourd’hui, afind’en révéler les tendances actuelles il est nécessaire detenir compte des données de la lexicologie historique.
Ainsi, c’est l’histoire de la langue quinous renseigne sur le rôle des divers moyens de formation dansl’enrichissement du vocabulaire. Une étude diachronique du vocabulairenous apprend que certains moyens de formation conservent depuis dessiècles leur vitalité et leur productivité (par exemple,la formation des substantifs abstraits à l’aide des suffixes — ation, — (e)ment, — âge, — ité, — ce), d’autres ont acquis depuis peu uneimportance particulière (ainsi, la formation de substantifs avec lessuffixes — tron,. — rama), d’autres encore perdent leur ancienneproductivité (telle, la formation des substantifs avec les suffixes — esse,- ice, — ie). f • Les phénomènes du français moderne telsque la polysémie, l’homonymie, la synonymie et autres ne peuventêtre I expliqués que par le développement historique duvocabuдaire.
Le vocabulaire de toute langue estexcessivement composite. Son renouvellement constant est dû à desfacteurs très variés qui ne se laissent pas toujours facilementrévéler. C’est pourquoi’ l’étude du vocabulaire dans toutela diversité de ses phénomènes présente unetâche ardue. Pourtant le vocabulaire n’est point une créationarbitraire. Malgré les influences individuelles et accidentelles qu’ilpeut subir, le vocabulaire d’une langue sa développe j^rogresslveii^eritselon ses propres lois qui en déterminent les particularités.
L’abondance des homonymes enfrançais en comparaison du russe n’est pas fortuite; ce n’estguère un fait du hasard que; la création de mots nouveauxpar«le passage d’une catégorie lexico-grammaticale dans une autre(blanc, adj. — le blanc Ides yeux], subst) soit plus productive enfrançais qu’en russe. Ces traits distinctifs du vocabulairefrançais doivent être mis en évidence dans le cours delexicologie.
Si l’approche diachronique permetd’expliquer l’état actuel du vocabulaire, l’approche synchronique aideà révéler les facteurs qui en déterminent lemouvement progressif. En effet, le développement du vocabulaire se faità partir de nombreux modèles d’ordre formel ou sémantiquequi Sont autant d’abstractions de rapports différents existant entre lesvocables à une époque déterminée. On pourrait citerl’exemple du suffixe — on tiré récemment du mot électronet servant à former des termes de physique (positon, hégaton). L’apparitionde ce suffixe est due à l’opposition du mot électron aux mots dela même famille électrique, électricité.
Le suffixe — Ing d’origine anglaise a deschances de s’imposer au français du fait qu’il se laisse facilementdégager d’un grand nombre d’emprunts faits à l’anglais. Tel aété le sort de nombreux suffixes d’origine latine qui aujourd’huifont partie du répertoire des suffixes français. Parconséquent, les multiples liens qui s’établissent entre lesunités lexicales à une époque donnée créentles conditions linguistiques de l’évolution du vocabulaire. Ainsi lasynchronie se rattache intimement à la diachronie…
§ 3. Le vocabulaire en tant quesystème. Dans la série hardiesse, audace,intrépidité, témérité chacun des membres sedistingue, par quelque indice sémantique quf~eTr constituel’individualité et la raison d’être: hardiesse désigne unequalité louable qui pousse à tout oser, audace suppose unehardiesse excessive, immodérée, intrépiditéimplique le mépris du danger, témérité rendl’idée d’hardiesse excessive qui agit au hasard, et parconséquent, prend une nuance dépréciativeA.
On peut prévoir, sans risque de setromper, que si encore un synonyme venait à surgir il aurait reçuune signification en fonction de celles de «ses prédécesseurs». Et,au con traire, il est probable que la disparition d’un des synonymes seraitsuivie de la modification sémantique d’un des autres membres de lasérie qui aurait absorbé la signification du synonyme disparu.,”. •»'”
4iajis la diachronie les moindresmodifications survenues à quelque vocable se font infailliblement sentirsur d’autres vocables reliés au premier par des liens divers. Il estaisé de s’en apercevoir. Les modifications sémantiques d’un motpeuvent se répercuter sur les mots de la même famille. Le mothabit voulait dire autrefois « état » — ‘cocTOHHHe’; en prenant le sensde « vêtement » il a entraîné dans son développementsémantique le verbe habiller formé de « bille » — ‘partie d’unarbre, d’un tronc préparée pour être travaillée’; ‘l’apparition des dérivés habilleur, habillement,déshabiller est due à l’évolution sémantique duverbe. L’emploi particulier d’un mot peut également avoir pourrésultat la modification de sa signification. AinSj, par exemple, un motqui se trouve constamment en voisinage d’un autre mot dans la parole peut subirl’influence sémantique de ce dernier. Tels sont les cas des substantifspas, point, de même que rien, personne, guère qui ont fini parexprimer la négation sous l’influence de ne auquel ils étaientrattachés.
Il s’en suit que dans l’étude duvocabulaire une importance particulière revient aux rapportsréciproques qui s’établissent entre les unités lexicales.
Le système du lexique, comme toutautre système, suppose l’existence d’oppositions. Ces oppositionss’appuient sur des rapports associatifs ou virtuels existant au niveau de lalangue-système. Elles appartiennent au plan paradig-matique. Chaqueunité lexicale entretient, en effet, divers rapports associatifs avecles autres unités. Prenons l’exemple de F. de Saussure qui est celui dumot enseignement. A partir du radical enseignement est en rapportparadigmatique avec enseigner, enseignons, enseignant, etc.; envisagésous l’angle sémantique il s’associe à instruction,apprentissage, éducation, etc. L’ensemble des unités entretenantentre elles nelle permet au lexicologue de déceler les facultéscomblna-toires des mots et de leurs éléments constituants(constituants immédiats, morphèmes, phonèmes).
L’analyse distributionnelle rejoint laméthode contextuelle qui consiste dans la présentation desphénomènes linguistiques dans un contexte verbaldéterminé. Cette dernière méthode est largementutilisée dans les récents ouvrages lexicographiques soucieux defournir aux usagers un riche inventaire d’emploi des vocables afin d’en rendreplus tangibles les nuances sémantiques et l’usage.
Vu que tout mot construit peut êtretransformé en une construction syntaxique la méthodetransformationnelle s’avère utile lorsqu’on veut en préciser lecaractère et le degré de motivation. Par exemple, latransformation de jardinet — petit jardin nous autorise à affirmer quece mot construit est motivé par le mot jardin qui en est la basedériva-tionnelle; en plus, elle permet de constater le plus hautdegré de la motivation puisque les deux élémentsconstituant le mot jardinet/jardin-et/soni suffisants pour en déterminerle sens (le suffixe — et à valeur diminutive équivalantsémantiquement à ‘petit’). Par contre, la transformation degraveur — personne qui grave, tout en nous renseignant sur le mot de base(graver), n’en épuise pas la signification qui est « personne dont lemétier est de graver » (cf. faucheur — « personne qui fauche »); ce faitsignale une motivation inférieure, dite idiomatique.
Il n’est pas toujours aiséd’établir la direction dérivative pour deux mots qui supposent unrapport dérivationnel. Tel est, par exemple, le cas de socialisme etsocialiste. La méthode transformationnelle permet, en l’occurrence,d’expliciter la direction dérivative: socialiste devra êtreinterprété comme étant dérivé de socialismedu fait que la transformation socialiste — partisan du socialisme est plusrégulière 1 que la transformation socialisme — doctrine dessocialistes. Ainsi la méthode transformationnelle rend un service auxlexicologues dans l’examen des rapports dérivationnels existant au seindu vocabulaire.
Dans les études portant sur lecontenu sémantique des vocables on fait appel à l’analysecomponentielle (ou sémi-que). Cette dernière vise àdéceler les unités minimales de signification (composantssémantiques, traits sémantiques ou sèmes) d’uneunité lexicale (mot ou équivalent de mot). L’analyse componentiellemet en évidence non seulement la structure profonde de la signification1t mais aussi les rapports sémantiques qui existent entre les vocablesfaisant partie des séries synonymiques, des groupeslexico-sémanti-ques, des champs syntagmatiques et autres groupements. Lesméthodes spéciales appliquées en lexicologie visentà décrire de façon plus explicite la forme et le contenudes unités lexicales, ainsi que les rapports formels etsémantiques qu’elles entretiennent.
CHAPITRE II
Le mot.
§ 1. Le mot — unité fondamentale dela langue.
Le mot est reconnu par la grandemajorité des linguistes comme étant une des unitésfondamentales, voire l’unité de base de la langue. Cette opinion qui n’a pas été mise en doute pendantdes siècles a été révisée par certainslinguistes contemporains. Parmi ces derniers il faut nommer desreprésentants de l’école structuraliste, et en premier lieu deslinguistes — américains tels que Harris, Nida, Gleason, selon lesquelsnon pas le mot, mais le morphème serait l’unité de base de lalangue. Conformément à cette conception la langue se laisseraitramener aux morphèmes et à leurs combinaisons a.
Dans la linguistique française onpourrait mentionner Ch. Bally qui bien avant les structuralistesaméricains avait déjà exprimé des doutes sur lapossibilité d’identifier le mot. Son scepticisme vis-à-vis du motperce nettement dans la citation suivante: « La notion de mot passegénéralement pour claire; c’est en réalité une desplus ambiguës qu’on rencontre en linguistique » 9. Après unetentative de démontrer les difficultés que soulèvel’identification du mot Ch. Bally aboutit à la conclusion qu’ « II faut…s’affranchir de la notion incertaine de mot ». En revanche, il propose lanotion de sémantème (ou sème) qui serait « un signeexprimant un* Idée purement lexicale » *, et la notion demolécule
L’asymétrie qui est propre auxunités de la langue en général est particulièrementcaractéristique du mot. Cette asymétrie du mot se manifestevisiblement dans la complexité de sa structure sémantique. Lemême mot a le don de rendre des significations différentes. Lessignifications mêmes contiennent des éléments appartenantà des niveaux différents d’abstraction. Ainsi, le mot exprime dessignifications catégorielles: l’objet, l’action, la qualité. Cessignifications sont à la base de la distinction des parties du discours.A un niveau plus bas le mot exprime des significations telles que lanombrabilité/la non-nombrabilité, un objet inanimé/unêtre animé. A un niveau encore plus bas le mot traduit diversessignifications lexicales différencielles.
Notons encore que le mot constitue uneréalité psychologique: c’est avant tout les mots qui permettentde mémoriser nos connaissances et de les communiquer.
Ainsi, le mot est une unité bienréelle caractérisée par des traits qui Jui appartiennenten propre. Malgré les diversités qui apparaissent d’une langueà l’autre le mot existe dans toutes les langues à ses deuxniveaux: langue-système et parole. Les mots (et,ajoutons, les équivalents de mots) constituent le matériaunécessaire de toute langue.
§ 2. Le mot (son enveloppematérielle) et la notion.
La linguistique marxiste reconnaîtl’existence d’un lien indissoluble entre la pensée de l’homme et lalangue. Déjà K. Marx constatait que lalangue est la réalité immédiate de la pensée,qu’elle est la « conscience réelle, pratique ». « Les idées,disait K. Marx, n’existent pas en dehors de la langue. » L’homme pense au moyende notions qui se combinent en jugements, il communique sa penséeà l’aide de mots qui s’agencent en propositions. Ces catégorieslogiques et linguistiques ‘apparaissent toujours dans leur liaisonétroite.
Notre pensée ne trouve saréalisation que dans la ‘matière, en l’occurrence, dans lamatière sonore (ou graphique, son succédané) sous forme demots et de propositions qui servent à rendre des notions et desjugements. On peut parler de notions pour autant qu’elles sontmatérialisées sous forme de mots (ou d’équivalents de mots).Ceux des linguistes ont tort qui affirment qu’il existe une penséeabstraite non formulée en paroles 1, que « toute pensée, sisimple soit-elle, est incommunicable dans son essence, la langue en donne uneimage schématique et déformée». Il faut donner raisonà F. de Saussure 8 lorsqu’il dit que le son et la pensée sontinséparables de la même manière que le recto d’une feuillede papier est solidaire du verso.
Permettons-nous encore cette comparaisontrès réussie de H. Von Kleist: « L’idée ne préexistepas au langage, elle se forme en lui et par lui. Le Français dit: l’appétitvient en mangeant; cette loi empirique reste vraie quand on la parodie endisant: l’idée vient en parlant ».
Le rôle des mots ne se borne pasà transposer la notion dans la forme verbale, mais à servir demédiateur actif et indispensable dans la formation de la notion, pourson devenir. Le mot participe lui-même à la formation de la notion.
D’après la théorie de laconnaissance de V.I. Lénine, — le mot et la notion présentent uneunité dialectique.
V.I. Lénine dit que tout motgénéralise.
Examinons ce processus.
Dans quel rapport se trouvent le mot et lanotion? Dans quel rapport se trouvent la notion et l’objet de laréalité?
Dans ses «Cahiers philosophiques» V.I. Léninerépond à ces questions. Lénine distingue deuxdegrés de la connaissance.
Lepremier degré consiste dans lasensation, dans la formation de perceptions et de représentationsà partir de la sensation. La sensation est le lien immédiat entrela réalité, le monde extérieur, et la conscience. Lasensation sert de base à la perception et la représentation. Leprocessus de perception s’effectue quand on perçoit directement un*objet par les sens. La perception, c’est l’ensemble des sensations produitespar un objet. On peut se représenter un objet sans, e percevoirdirectement, à l’aide de la mémoire ou de l’ magination. Alors onest en présence du processus de la représentation. Lareprésentation, c’est l’image mentale de l’objet qui n’est pasperçu directement par ies sens. Ainsi, l’homme entre en contact avec laréalité par les sensations, les perceptions et lesreprésentations. Mais ce n’est que le commencement du processus de laconnaissance.
Le deuxième degré de laconnaissance, c’est la généralisation des phénomènesisolés, la formation des notions (ou concepts) et des jugements.
Par la généralisationthéorique, abstraite des perceptions et des représentations, onforme des notions, des concepts. La notion, le concept fait ressortir lespropriétés essentielles des objets, des phénomènesde la réalité sans en fixer les propriétésaccidentelles.
Si nous regardons une rivière nousla percevons; si nous nous souvenons plus tard de cette mêmerivière, nous nous la représentons. L’image concrète decette rivière est, dans le premier cas, une perception, dans ledeuxième — une’ représentation. En faisant ressortir lespropriétés essentielles des rivières engénéral, c’est-à-dire le courant de l’eau, avec ses deuxrives naturelles (à l’opposé d’un canal), etc., nous formons unenotion. La notion, le concept ce n’est plus une image mentale concrète,c’est une abstraction, une généralisation théorique. Lemot rivière s’unit à la notion « rivière »; il sertà nommer non pas une rivière déterminée, maisn’importe quelle rivière, la « rivière » engénéral, autrement dit, ce mot exprime la notion de «rivière » généralisée, abstraite. Le motgénéralise principalement grâce à sa facultéd’exprimer des notions.
La notion (ou le concept) peut êtrerendue par des moyens linguistiques différents: par des mots, desgroupes de mots. C’est pourtant le mot, par excellence, qui sert de moyen pourexprimer la notion. La faculté d’exprimer des notions ou des conceptsest une des caractéristiques fondamentales des mots et de leurséquivalents.
Donc, le mot et la notion (ou le concept) constituentune unité dialectique. Pourtant unité ne veut pas direidentité. De même qu’il n’y a pas d’équivalence, voire, desymétrie, entre la pensée et la langue, il n’y a pointd’identité entre le mot et la notion. Un mot, précisémentson enveloppe matérielle, peut être lié à plusieursnotions et, inversement, la même notion est parfois rendue par des motsdifférents.
Il est nécessaire de faire ladistinction entre les notions de la vie courante, ou les notionscoutumières, et les concepts à valeur scientifique. Ainsi, lemême mot rivière exprime tout aussi bien une notioncoutumière qu’un concept scientifique. Le concept scientifiquereflète les propriétés véritablement essentiellesdes objets et des phénomènes consciemment dégagésdans le but’spécial de mieux pénétrer et comprendre laréalité objective.
Les concepts scientifiques sontexprimés par les nombreux termes appartenant aux diverses terminologies.
La notion coutumière reflètedans notre conscience 1 0 s propriétés distinctives essentiellesdes objets et des phénomènes. Les notions coutumièresn’exigent pas de définitions précises et complètes aumême titre que les concepts scientifiques qui veulent une extrême précision.Dans son activité journalière l’homme a surtout affaire auxnotions coutumières qui servaient la pensée humainedéjà bien avant l’apparition des sciences. Aujourd’hui commeautrefois la plupart des mots d’un emploi commun expriment dans le langageprincipalement des notions coutumières.
Les notions coutumières demême que les concepts scientifiques se précisent et seperfectionnent grâce au processus universel de la connaissance de laréalité objective.
Les notions, les concepts peuventêtre réels et irréels. Ils sont réels àcondition de refléter les propriétés des objets et desphénomènes de la réalité objective. Tels sont: électricité,atome, oxygène, hydrogène; matière, réalité,jugement, concept; science, mot, morphème, préfixe, suffixe; homme,société, enfant, etc. Les notions et les concepts irréelssont aussi des généralisations abstraites, mais ils nereflètent pas des objets et des phénomènes existants; telssont: ange, diable, paradis, enfer, sorcier, panacée, pierrephilosophale, centaure, etc. Un grand nombre de ces notions a étécréé par la religion qui les présentait comme des conceptsréels et justes. Les notions et les concepts irréels ne sontpourtant pas entièrement détachés de laréalité objective. Ils reflètent des morceaux, desfragments de la réalité combinés arbitrairementgrâce à l’imagination. L’homme vérifie la justesse etl’objectivité de ses connaissances en se réglant sur la pratiquequotidienne. C’est la pratique quotidienne qui permet de distinguer ce qui estjuste de ce qui est faux dans nos perceptions, nos représentations, nosnotions et jugements. Elle est la base du processus de la connaissance àson premier et son deuxième degré. La pratique est lecritère suprême de toute connaissance:
«De l’intuition vivante à lapensée abstraite, et d’elle nature: elle se situe non plus au niveaulexical, mais au niveau grammatical de la langue. Certains mots-outilstraduisent les rapports existant entre les notions et les jugements (tels sontles prépositions, les conjonctions, les pronoms relatifs, les verbesauxiliaires copules), d’autres précisent en les présentant sousun aspect particulier les notions rendues par les mots qu’ils accompagnent(ainsi, les articles, les adjectifs possessifs et démonstratifs).
Signalons à part les termes modauxqui n’expriment pas de notions, mais l’attitude du sujet parlant envers eequ’il dit, par exemple: évidemment, probablement, peut-être,n’importe, etc.
Remarquons qu’aux yeux de certainslinguistes * tout mot posséderait forcément la fonctionrationnelle. Ainsi, les noms propres de personnes et d’animaux rendraient lanotion très générale de l’homme ou de l’animal(Médor serait toujours un chien, tandis que Paul, s’associeraitrégulièrement à l’homme). Les interjections ne traduiraientpas les émotions du locuteur en direct, mais par le truchement desnotions correspondantes (Pouah I rendrait l’idée d’un granddégoût tiens 1 — celle d’une surprise). Cette conception, qui nemanque pas d’intérêt, fait toutefois violence auxphénomènes linguistiques.
Si l’on compare, quant à leurcontenu sémantique, les mots homme et Emile pris isolément ladifférence apparaîtra nettement. Le mot homme rendra effectivementla notion générale de « être humain douéd’intelligence et possédant l’usage de la parole», il n’en sera rienpour Emile qui n’exprimera pas plus la notion d’« homme » que Mlnouche celle du« chat ». Donc, au niveau de la langue-système Emile et Minouche sontdépourvus de la fonction rationnelle. Il en est autrement au niveau dela parole. C’est justement ici que les noms propres de personnes et d’animauxse conduisent à l’égal des noms communs. En effet, les premiers,aussi bien que les derniers, exprimeront des notions particulières. (Cf.Jean viendra — Cet homme viendra)
Donc, les noms propres de personnes etd’animaux posséderont la fonction rationnelle (et, évidemment, lafonction nominative) au niveau de la parole.
Aussitôt qu’un nom propre acquiert lafaculté d’exprimer une notion générale (cf. un Harpagon,un Tartufe) il sera promu au rang des noms communs et deviendra un mot àfonction rationnelle au niveau de la langue.
Confrontons à présent pouah! etdégoût. Si dégoût rend bien une notiondéterminée tout en la nommant, pouah 1 traduit en direct unsentiment, une émotion causée par unphénomène-dé la réalité. Tout comme lesnotions les émotions reflètent la réalité. Toutefoisces réverbérations émotives se situent à un niveauinférieur en comparaison de la notion. Donc, les interjectionspossèdent uniquement la fonction affective aux deux niveaux de la langue.C’est dans le fait que les interjections rendent nos sentiments et non pas desnotions-qu’il faut chercher l’explication du caractère souvent flottant,imprécis de leur signification.
§ 3. La signification en tant que structure.La linguistique marxiste insiste sur la nécessité d’envisager lasignification comme un des ingrédients du mot.
Ceux des linguistes qui voudraientdépouiller le mot de son contenu sémantique, l’interprétercomme un phénomène purement formel ne tiennent pas compte de lafonction essentielle de la langue — celle de communication. C’est le casdé certains structuralistes américains qui ont exclu lacatégorie de la signification de leurs recherches. Les étudespurement formelles des phénomènes linguistiques présententla langue d’une façon tronquée, incomplète. Ainsi lerenoncement à la signification cause de grands inconvénients. Unlinguiste, pour peu qu’il veuille connaître la nature des faits qu’il sepropose d’étudier, ne saurait se borner à l’examen du plan «expression » et devra pénétrer plus avant le plan « contenu ». Souvenons-nousdes paroles de L. Tcherba; il disait que celui qui renonce ‘à lacatégorie de la signification en tue ljâme. Plus récemmentE. Benveniste a trouvé une autre image pour rendre la mêmeidée: « Voici que surgit le problème qui hante toute lalinguistique moderne, le rapport forme: sens que maints linguistes voudraientréduire à la seule notion de forme, mais sans parvenir àse délivrer de son corrélat, le sens. Que n’a-t-on tentépour éviter, ignorer, ou expulser le sens? On aura beau faire: cettetête de méduse est toujours là, au centre de la langue,fascinant ceux qui la contemplent ».
La linguistique française n’estjamais allée jusqu’à exclure de la langue la signification. Toutefoisles termes «sens» •et «signification» du mot n’y ont pas reçu dedéfinition précise. Certains linguistes les emploient sanscommentaire comme si ces notions ne soulevaient aucun doute; d’autreséludent consciemment le problème. Il est connu que F. de Saussure« pour ne pas s’embrouiller dans toutes les controverses instituéesà ce sujet, avait préféré ne pas faire allusionà la signification ou au sens des mots. Il avait parlé de «signifié » et de « signifiant »…1
Dans la linguistique soviétique leproblème n’a pas été seulement posé, mais largementélaboré.
Les linguistes paraissent s’entendre pourattribuer à tout mot une signification soit* lexicale, soit grammaticale.On reconnaît que les mots sont porteurs de significations grammaticaleslorsqu’ils expriment des rapports entre les notions et les jugements ou bienquand ils servent à déterminer les notions.3
Les linguistes conçoiventdifféremment la signification lexicale du mot.8
Il est évident que la significationdu mot n’est pas l’objet ni le phénomène auquel elle s’associe; cen’est point une substance matérielle, mais un contenu idéal. Ilreste pourtant vrai que sans ces objets et phénomènes de laréalité les significations des mots n’existeraient pas. Cettethèse est également valable pour les mots exprimant des notionsréelles et irréelles.
La signification du mot n’est point nonplus le lien entre l’enveloppe sonore d’un mot et les objets ouphénomènes de la réalité, quoique cette opinionsoit assez répandue. Par lui-même ce lienentre l’enveloppe sonore des mots et les objets et phénomènes dela réalité ne peut expliquer la diversité dessignifications.
Les linguistes soviétiques estimentque la signification est avant tout une entité idéale qui ne peuts’identifier avec quelque rapport. Il est toutefois indispensable d’enpréciser la nature.
Tout*«en reconnaissant lafaculté généralisatrice du mot on oppose parfois lasignification à la notion, la première étantinterprétée comme catégorie linguistique et la seconde,comme catégorie logique. Seuls les termes seraient susceptiblesd’exprimer des notions, alors que la majorité des mots exprimeraient dessignifications. En effet, la signification des termes se distingue de celle desmots non terminologiques par son caractère scientifique et universel. Iln’en reste pas moins vrai que tout mot reflète la réalitéobjective, qu’il soit un terme ou non. C’est pourquoi tout mot en tant quegénéralisateur se rattache nécessairement à lanotion. On peut dire que la notion rendue par un mot constitue le composantfondamental de sa signification. Il est notoire que les notions(précisément les notions coutumières) exprimées pardes mots correspondants appartenant à des langues différentes necoïncident pas toujours exactement, ce qui se fait infailliblement sentirsur la signification de ces mots.
§ 4. Le sens étymologique du mot. Lesmots motivés et Immotivés. Depuis longtemps les linguistes sesont affranchis de l’opinion simpliste qui régnait parmi les philosophesgrecs antiques selon laquelle le mot, le « nom » appartient à l’objetqu’il désigne. Il est évident qu’il n’y a pas de lien orga^ niqueentre le mot, son enveloppe sonore, sa structure phonique et l’objet qu’ildésigne. Pourtant le mot, son enveloppe sonore, est historiquementdéterminé dans chaque cas concret. Au moment de son apparition lemot ou son équivalent tend à être unecaractéristique de la chose qu’il désigne. On a appelévinaigre l’acide fait avec du vin, tire-bouchon — une espèce de vis pourtirer le bouchon d’une bouteille. Un sous-marin est une sorte de navire quinavigue sous l’eau et un serre-tête — une coiffe ou un ruban qui retientles cheveux. Il en est de même pour les vocables existantdéjà dans la langue, mais servant à de nouvellesdénominations. Par le mot aiguille on a nommé le sommet d’unemontagne en pointe aiguë grâce à sa ressemblance à uneaiguille à coudre.
L’enveloppe sonore d’un mot n’est pas dueau hasard, même dans les cas où ‘elle paraît l’être. Latable fut dénom mée en latin « tabula » — ‘planche’ parcequ’autrefois une planche tenait lieu de table. Le mot latin « calculus » — ‘caillou’servait à désigner le calcul, car, anciennement, on comptaità l’aide de petits cailloux.
La dénomination d’un objet estbasée sur la mise en évidence d’une particularitéquelconque de cet objet.
Il est aisé de s’apercevoird’après ces exemples que le sens étymologique des mots peut neplus être senti à l’époque actuelle.
En liaison avec le sens étymologiquedes mots se trouve la question des mots motivés et immotivés sansqu’il y ait de parallélisme absolu entre ces deuxphénomènes.
Nous assistons souvent à laconfusion du sens étymologique d’un mot et de sa motivation. Toutefoisle sens étymologique appartient à l’histoire du mot, alors que lamotivation en reflète l’aspect à une époque donné.
Tous les mots d’une langue ontforcément un sens étymologique, explicite ou implicite, alors quebeaucoup d’entre eux ne sont point motivés. Tels sont chaise, table,main, sieste, fortune, etc. Nous aurons des mots motivés dansjournaliste, couturière, alunir, porte-clé, laisser-passer, dontle sens réel émane du sens des éléments composantscombinés d’après un modèle déterminé. Lamotivation de ces mots découle de leur structure formelle, et elle estconforme à leur sens étymologique. Il en est autrement pourvilenie dont la motivation actuelle est en contradiction avec le sensétymologique puisque ce mot s’associe non plus à vilain, commeà l’origine, mais à vil et veut dire « action vile et basse. »
§ 5. Caractéristique phonétiquedes mots en français moderne. Nous nousbornerons ici à noter certains traits caractérisant les motsfrançais quant à leur composition phonique et leur accentuationdans la chaîne parlée.1
Les mots français sontcaractérisés par leur brièveté. Certains seréduisent à un seul phonème. Il s’agit surtout de mots nonautonomes (ai, eu, on, est, /’, d\ etc), les mots autonomes à unphonème étant exclusivement rares (an, eau).
Par contre, les monosyllabes sonttrès nombreux dans ces deux catégories de mots (le, les, des,qui, que, mais, main, nez, bras, monte, parle, etc). Ces monosyllabes sontparmi les mots les plus fréquents.
L’analyse d’un certain nombre de textessuivis a permis de constater que les mots contenant une syllabe forment environ61% et les mots à deux syllabes forment près de 25% de l’ensembledes mots rencontrés. Cet état de choses est le résultatd’un long développement historique qui remonte à l’époquelointaine de la formation de la langue française du latin populaire (ouvulgaire). Pour la plupart les monosyllabes sont le résultat desnombreuses transformations phonétiques subies par les mots latinscorrespondants formés de deux ou trois syllabes; cf.: homme
Le français possèdenaturellement des mots à plusieurs syllabes; toutefois il y avisiblement tendance à abréger; es mots trop longs auxquels lalangue semble répugner (métropolitain > métro,stylographe > stylo, piano-forte > piano, automobile > auto,météorologie
Cette tendance à raccourcir lesmots, qui s’est manifestée à toutes les époques, a pourconséquence un autre phénomène caractéristique duvocabulaire français — l’homonymie) Un grand nombre de mots acoïncidé quant à la prononciation à la suite demodifications phonétiques régulières.
C’est surtout parmi les monosylabes quel’on compte un grand nombre d’homonymes; cf.: ver
L’association des maires de France,
L’association des mères de France,etc. Or, pour échapper à l’ambiguïté, il suffit dedire dans le deuxième cas:
L’association des mèresfrançaises,. etc. » 8
Quant à la syllabation des mots françaiselle est reconnue comme étant remarquablement uniforme et simple. Cesont les syllabes ouvertes qui forment près de 70% dans la chaîneparlée. Surtout fréquentes sont les syllabes ouvertes du typeconsonne-voyelle (par exemple: [a-vi-za-se] — envisager, \ede-pâ-dâ] — indépendant), moins nombreuses sont lessyllabes des types consonne-consonne-voyelle et voyelle (par exemple: [blé-sel- blesser, [tru-ble] — troubler, [e-ku-te] — écouter). Parmi lessyllabes fermées on rencontre surtout le type consonne-voyelle-consonne(par exemple: [sur-nal] — journal, [par-tir] — partir). Les autres types sontrares. * Cette particularité de la structure syllabique des motsfrançais contribue à son tour à l’homonymie.
Le mot français peut commencer parn’importe quelle consonne, toutefois les semi-consonnes initiales [j] [w] [uj
,sont rares; de même que le h«aspiré» (haine, haïr, haricot, haie, onze, un (nom de nombre, etc).
On ne compte qu’un certain nombre de motscommençant par [z] (zèbre, zéro, zinc, zone, zoo), par un[t]] dans l’argot ou le langage familier (gnaule, gnaf, gnouf).
Relativement peu nombreuses aussi sont lescombinaisons de consonnes au début du mot. Ce sont, au caséchéant, des groupes de deux consonnes dont le premierélément est une occlusive [p], [t], [k], [b], [dl, [g] ou unespirante labiale [f], [v] suivie d’une liquide [1], [r] ou d’une semi-voyelle [w],
lj], luJ-
Ce sont aussi les combinaisons initialescomportant trois consonnes dont une liquide et une semi-voyelle: [prw], [plw],[plq], [trw], [trq], [krw], [krq], etc.
Les autres combinaisons de deux ou de troisconsonnes aussi bien au début qu’à l’intérieur du mot sontrares (pneumatique, phtisie, stress, strident, strapontin, esclandre, escrime),apparaissant, comme règle, dans des mots d’emprunt.
Quant aux voyelles le françaisrépugne aux hiatus à l’Intérieur des mots (cf. appréhender,méandre), il est exempt de diphtongues.
Notons aussi le service rendu par lesphonèmes dans la distinction des vocables différents.
A. Sauvageot souligne le rôleexclusif de la consonne initiale dans la différenciation des mots. « IIarrive, dit-il, qu’une même voyelle fournisse presque autant de vocablesqu’il y a de consonnes pour la précéder: pont/ ton/ bon/ don/gond/ fond/ font/ vont/ long/ mont/ nom/ rond/ sont/ son/ jonc/, etc. »
La voyelle aussi a une valeurdifférencielle très impor tante. Dans le schémaconsonnantique. p-r selon la voyelle on a: „
par, part
port, porc, pore
pour
père, paire, pair
peur
pur
Telles sont à grands traits lespossibilités combinatoires des phonèmes français.
Dans la langue russe les mots dans lachaîne parlée sont généralement marqués del’accent tonique, ce c [ui facilite leur délimitation. Il en estautrement pour le français où les mots phonétiquement selaissent difficilement isoler dans le discours; privés de l’accenttonique propre, ils se rallient les uns aux autres en formant une chaîneininterrompue grâce aux liaisons et aux enchaînements. Ondégage, en revanche, des groupes de mots représentant uneunité de sens et qui sont appelés « groupes dynamiques ourythmiques » avec un accent final sur la dernière) voyelle du groupe.
Cette particularité del’accentuation fait que le mot français perd de son autonomie dans lachaîne parlée. La délimitation phonétique des motsémis dans la parole en est enrayée. Ceci explique lesmodifications de l’aspect phonétique survenues à certains mots aucours des siècles. Les uns se sont soudés avec les mots qui lesprécédaient, dont l’article défini; c’est ainsi que ierreest devenu lierre, endemain — lendemain, nette — luette, oriot-loriot; d’autres,au contraire, ont subi une amputation: lacunette (=petit canal) s’esttransformé en la. cunette car on a pensé à l’articleprécédant un substantif; de même ni1 amie aété perçu comme ma mie et l’agriotte comme la griotte(dans l’argot).
Toutefois il serait abusif d’insister surl’absence totale de limites entre les mots dans la chaîne parléeen français. En effet, certains indices phonétiques contribuent àdégager les mots dans le discours. Ainsi, par exemple, le son [z] quiapparaît dans les liaisons signale la jointure entre deux mots. Il en est de même de l’hiatus qui, comme nous l’avonssignalé, est rare à l’intérieur du mot, mais assezrégulier à la limite des mots.1 Un indice important estl’éventualité d’une pause en fin de mot dans la chaîneparlée.
§ 6. Caractéristique grammaticale dumot en français moderne. Les unitésessentielles de — la langue étroitement liées l’une àl’autre sont le mot et la proposition. Les mots acquièrent dans laproposition une force particulière en tant qu’élément dela communication. C’est en se groupant en propositions d’après lesrègles grammaticales que les mots manifestent leur facultéd’exprimer non seulement des notions, des concepts, mais des idées, desjugements. Dans la proposition les mots autonomes remplissent les fonctions dedifférents termes, dits termes de la proposition (du sujet, du verbe, ducomplément, etc), tandis que les mots non — autonomes établissentdes rapports\variés entre les termes ou les parties de la proposition. Lafaculté de former des propositions afin d’exprimer des. jugementsconstitue une des principales caractéristiques grammaticales des mots. “iUne autre particularité du mot consiste dans ce qu’il appartientà une des parties du… discours… Ainsi, on distingue les substantifs,les adjectifs, les adverbes, les verbes, les pronoms, etc. Les parties dudiscours sont étudiées par la grammaire: elles constituent labase de la morphologie. C’est à partir des propriétés desparties du discours que la grammaire crée les règles desgroupements de mots, les règles qui sont le produit d’un long travaild’abstraction de la mentalité humaine. Il serait pourtant faux detraiter les parties du discours de catégories purement grammaticales. Eneffet, les parties du discours se distinguent les unes des autres par leur senslexical: les substantifs désignent avant tout des objets ou, desphénomènes, les verbes expriment des actions ou des états;les adjectifs — des qualités, etc. C’est pourquoi il serait plus justede nommer les parties du discours catégories lexico-grammaticales.
La composition morphémique des motsest aussi étudiée par la grammaire, pourtant elle a unintérêt considérable pour la lexicologie. La facultédu mot de se décomposer en morphèmes présente une descaractéristiques grammaticales du mot qui, en particulier, le distinguedu morphème. Ce dernier, étant lui-même la plus petiteunité significative de la langue, ne peut être décomposésans perte de sens. Ainsi, le mot amener comporte trois morphèmes: a-tnen-er,mais on ne peut plus décomposer ces derniers en plus petitesunités significatives. On peut seulement en déterminer lastructure phonique, en isoler les phonèmes. Les phonèmes nepossèdent point de sens propre, ils ne servent qu’à distinguerles morphèmes: (cf.: amener et emmener; mener et miner). Ce sontprincipalement les mots autonomes qui se laissent décomposer enmorphèmes. Quant aux mots-outils, dont beaucoup se rapprochent àcertains égards des morphèmes, ils constituentgénéralement un tout indivisible.
Parmi les mots autonomes, il y en a desimples qui sont formés d’une seule racine. Tels sont: homme, monde,terre, ciel, arbre, table, porte, chambre, etc. Ces mots pourraient êtreaussi appelés « mots-racines ». Plus souvent les mots contiennent une ouplusieurs racines auxquelles se joignent des affixes (les préfixesplacés avant et les suffixes placés après la racine) etles terminaisons (ou désinences). On dis — lingue encore le thème(ou le radical), c’est-à-dire la partie du mot recelant le sens lexicalet précédant la terminaison. Ainsi, dans l’exemple: Nousdémentons les calomnies des fauteurs de guerre, le mot démentonscomprend la racine — ment-, le préfixe dé-, le thèmedément-, la terminaison — ons. La racine recèle le sens lexicalfondamental du mot. Le thème qui comporte tout le sens lexical du mots’oppose à la désinence qui est porteur d’un sens grammatical.
Dans le français moderne lethème apparaît exclusive-, ment dans la conjugaison des verbes quiont conservé jusqu’à présent des traits de l’anciensynthétisme, tandis que dans les nominaux, depuis la destruction, dusystème de déclinaison, le thème ne se laisse plusdégager, il coïncide avec le mot. Les finales des substantifs etdes adjectifs telles que animal — animaux, paysan — paysanne; blanc — blanche,fin — fine ne sont plus des désinences mais de simples alternancesphoniques à valeur grammaticale.
Dans les travaux des linguistesfrançais le terme « thè me » s’emploie encore pourdésigner la partie du mot à la —. quelle s’applique l’un oul’autre affixe servant à former ce mot. Il serait plus exact de nommercette partie du mot thème de formation (ou «base formative»), afin de ladis tinguer du « thème » proprement dit qui s’oppose à ladési nence à valeur grammaticale. Ainsi, par exemple, dans ac climatationle thème de formation est présenté par la partie acclimat- à laquelle s’applique le suffixe — ation. Les thèmes deformation peuvent être ou non en corrélation avec des mots indépendants.Ils sont respectivement appelés libres comme dans refaire,laitière, cache-nez (cf. faire, lait, cache, nez) et liés commedans fracture, bibliothèque (cf. fraction; biblio phile; filmothèque).A l’encôntre du «thème», «le thème de formation » ne,recèle guère, comme règle, tout le sens lexical du mot. ‘»ff’• ‘
Les affixes appliqués authème de formation peuvent tout simplement en modifier le sens. Telssont les cas de jardinet, maisonnette, refaire. Plus souvent les rapportssémantiques entre le thème de formation et l’affixe sont pluscompliqués; dans ces derniers cas, on crée des mots qui sedistinguent essentiellement par leur sens du thème de — for-mation. Ainsile mot Français (m) n’exprime point une espèce de France, mais unhabitant de ce pays; une laitière n’est pas une sorte de lait, mais unefemme qui vend ce produit.
Donc, les affixes peuvent conféreraux mots qu’ils for tique et ne servent qu’à former les variantes,grammaticales dêsverbes, _ce qui nous autorise à les qualifier demorphèmes. — Il n’est ^ârTois pas moins difficiled’établir’les., limites. entre un mot et un groupe de mots. Parmi leslinguistes soviétiques qui ont traité le problème du motet ses limites, il faut nommer tout d’abord le professeur A.I. Smirnitsky. Il adémontré de façon probante que le mot estcaractérisé par une intégrité sémantique etformelle. Toutefois, l’intégrité sémantique qui se traduitpar la faculté d’exprimer une notion, un concept, caractérise nonseulement les mots, mais aussi bien les groupes de mots. Il en est autrementpour l’intégrité formelle qui appartient en propre aux mots etsert, par conséquent, de véritable critère distinctif. ‘
_ Pour la plupart, les mots se laissentaisément distinguer des groupes de mots; tel est le cas des mots simplesou mots-racines et des mots dérivés formés parl’adjonction d’af-fixes. La distinction des mots composés, qui par leurstructure se rapprochent le plus des groupes de mots, présente desérieuses difficultés. Celles-ci sont surtout grandes dans lalangue française où les mots cb’mposés sont souventformés d’anciens, groupes de mots.
En appliquant à la languefrançaise le critère avancé par le professeur A.I. Smirnitsky,on devra reconnaître que les formations du type fer à repasser,chemin de fer% pomme de terre sont, contrairement à l’opinion de laplupart des linguistes français, des groupes de mots, tandis quebonhomme^ basse-cour, gratte-ciel sont des mots.
Donc,, il faut faire la distinction entreun mot et un morphème, d’un côté, un mot et un groupe demots, de l’autre 1 II reste fort à faire pour fixer les limites du mot; c’estun problème ardu qui exige un examen spécial pour chaque langue.
§ 7. L’identité du mot. Envisagésous ses aspects phonétique, grammatical et sémantique le motprésente un phénomène complexe. Pourtant dansl’énoncé, dans chaque cas concret de son emploi, le motapparaît non pas dans toute la complexité de sa structure, maisdans une de ses multiples formes, autrement dit, dans une de ses variantes.
Comment savoir si nous avons affaireà des mots distincts ou aux variantes d’un seul et même mot? Demême que pour les mots différents les variantes admettent desdistinctions d’ordre matériel (l’enveloppe sonore) et d’ordreidéal (le sens). Toutefois ces distinctions matérielles etidéales ne sont possibles que dans une certaine mesure, dans un cadredéterminé. Pour les variantes ces distinctions ne seront quepartielles et ne détruiront jamais l’intégrité du mot.
Quelles sont donc les variantes possiblesd’un mot?
Ce sont:
-les variantes de prononciation: [mitinl et[miteg] pour meeting, iby] et [byt] pour but, [u] et [ut] pour août, [mœ:r] et [moers] pour mœurs, [egzal et [egzakt] pour exact, [k5ta] et [kôtakt]pour contact; — les variantes grammaticales:
dors, dormons, dormez; — les variantespseudo-formatiyes (lexico-grammaticales): maigrichon et maigriot, maraude etmaraudage; — les variantes lexico-sémantiques:
notionnelles: palette — « plaque surlaquelle les pein tres étalent leurs couleurs » et « coloris d’unpeintre »;
notionnelles-affectives: massif — «épais, pesant », au figuré esprit massif — « grossier, lourd »; moisir- « cou vrir d’une mousse blanche ou verdâtre qui marque un commen cementde corruption », au figuré moisir quelque part — « de meurer inutile,improductif »;
-les variantes stylistico-fonctionnelles:
à support phonique: oui — littéraireet ouais — po pulaire, aristocrate — littéraire et aristo — familier;
à support notionnel-affectif: marmite- «récipient»
littéraire et « gros obus» — familier;
les variantes orthographiques: gaîmentet gaiement, soûl et — saoul.
Il est à noter,que les modulationsgrammaticales et stylistico-fonctionnelles n’attaquent jamais l’intégritédu mot. Dans j’ai dormi et je dormirai nous avons le même verbe dormirmalgré l’opposition des temps.
Il en est autrement pour les modulationsphoniques et notionnelles. Des distinctions phoniques ou notionnelles radicalesamèneraient à l’apparition de mots différents. En effet,malgré l’identité de leur aspect phonique calcul — «opération arithmétique » et calcul — « concrétionspierreuses » sont deux mots du fait que les notions qu’ils expriment n’ont riende commun. Les termes thème et radical à sonoritédifférente sont des mots distincts malgré l’identité deleur valeur sémantique. Pour qu’il y ait variantes d’un même motil ne doit pas y avoir d’interdépendance
entre les modulations dans leur enveloppesonore et leur valeur notionnelle, mais il suffit d’avoir en commun quelquetrait fondamental quant à l’aspect phonique et la valeur notionnelle. Pourl’aspect phonique cette communauté se traduit par la présence dansles variantes de la même racine qui constitue la base de la structurematérielle du mot. La communauté notionnelle consiste dans lelien qui s’établit entre les divers sens du «mot.

Notions preliminaires. Le mot

NOTIONS PRÉLIMINAIRES. LE MOT
CHAPITRE I
1. NOTIONS PRÉLIMINAIRES
§ 1. Objet d’étude de la lexicologie.
§ 2. Les aspects synchronique et diachroniquedes études lexicologiques.
§ 3. Le vocabulaire en tant que système.
CHAPITRE II
2. LE MOT
§ 1. Le mot — unité fondamentale de lalangue.
§ 2. Le mot (son enveloppe matérielle) etla notion.
§ 3. La signification en tant que structure.
§ 4. Le sens étymologique du mot.
§ 5. Caractéristique phonétiquedes mots en français moderne.
§6. Caractéristique grammaticale du moten français moderne.
§ 7. L’identité du mot.

CHAPITRE I
NOTIONS PRÉLIMINAIRES
§ 1. Objet d’étude de la lexicologie.Le terme « lexicologie », de provenance grecque, se. compose de deux racines: «lexic(o)” de « lexikon » qui signifie « lexique » et « log » de « logos »qui veut dire « mot, discours, traité, étude ».
En effet, la lexicologie a pour objetd’étude le vocabulaire ou le lexique d’une langue, autrement dit. l’ensembledes mots et de leurs équivalents considérés dans leurdéveloppement et leurs liens réciproques dans la langue.
Le vocabulaire constitue une partieintégrante de la langue. Aucune langue ne peut exister sans mots. C’estd’après la richesse du vocabulaire qu’on juge de la richesse de lalangue en entier. De là découle l’importance des étudeslexicologiques.
La lexicologie peut être historiqueet descriptive, elle peut être orientée vers une ou plusieurslangues. La lexicologie historique envisage le développement duvocabulaire d’une langue des origines jusqu’à nos jours, autant direqu’elle en fait une étude diachronique. Elle profite largement desdonnées de la linguistique comparée dont une des tâches estla confrontation des vocables de deux ou plusieurs langues afin d’enétablir la parenté et la généalogie.
La lexicologie descriptives’intéresse au vocabulaire d’une langue dans le cadre d’unepériode déterminé, elle en fait un tableau synchronique. Lalexicologie descriptive bénéficie des études typologiquesqui recherchent non pas à établir des généalogies,mais à décrire les affinités et les différencesentre des langues indépendamment des liens ‘de parenté.
Il n’y a guère de barrièreinfranchissable entre la lexicologie descriptive et la lexicologie historique,vu qu’une langue vivante envisagée à une époquedéterminée ne cesse de se développer.
Ce cours de lexicologie sera une étudedu vocabulaire du français moderne, considéré comme unphénomène dyna mique.
Notons que la lexicologie est une sciencerelativement jeune qui offre au savant un vaste champ d’action avec maintessurprises et., découvertes.
§ 2. Les aspects synchronique etdiachronique des études lexicologiques. La langue prise dans sonensemble est caractérisée par une grande stabilité. Pourtantelle ne demeure pas immuable. C’est en premier lieu le vocabulaire qui subitdes changements rapides, se développe, s’enrichit, se perfectionne aucours des siècles.
La lexicologie du français moderneest orientée vers le fonctionnement actuel des unités lexicalesen tant, qu’éléments de la communication. Cependant la nature desfaits lexicologiques tels qu’ils nous sont parvenus ne saurait êtreexpliquée uniquement à partir de l’état présent duvocabulaire. Afin de pénétrer plus profondément lesphénomènes du vocabulaire français d’aujourd’hui, afind’en révéler les tendances actuelles il est nécessaire detenir compte des données de la lexicologie historique.
Ainsi, c’est l’histoire de la langue quinous renseigne sur le rôle des divers moyens de formation dansl’enrichissement du vocabulaire. Une étude diachronique du vocabulairenous apprend que certains moyens de formation conservent depuis dessiècles leur vitalité et leur productivité (par exemple,la formation des substantifs abstraits à l’aide des suffixes — ation, — (e)ment, — âge, — ité, — ce), d’autres ont acquis depuis peu uneimportance particulière (ainsi, la formation de substantifs avec lessuffixes — tron,. — rama), d’autres encore perdent leur ancienneproductivité (telle, la formation des substantifs avec les suffixes — esse,- ice, — ie). f • Les phénomènes du français moderne telsque la polysémie, l’homonymie, la synonymie et autres ne peuventêtre I expliqués que par le développement historique duvocabuдaire.
Le vocabulaire de toute langue estexcessivement composite. Son renouvellement constant est dû à desfacteurs très variés qui ne se laissent pas toujours facilementrévéler. C’est pourquoi’ l’étude du vocabulaire dans toutela diversité de ses phénomènes présente unetâche ardue. Pourtant le vocabulaire n’est point une créationarbitraire. Malgré les influences individuelles et accidentelles qu’ilpeut subir, le vocabulaire d’une langue sa développe j^rogresslveii^eritselon ses propres lois qui en déterminent les particularités.
L’abondance des homonymes enfrançais en comparaison du russe n’est pas fortuite; ce n’estguère un fait du hasard que; la création de mots nouveauxpar«le passage d’une catégorie lexico-grammaticale dans une autre(blanc, adj. — le blanc Ides yeux], subst) soit plus productive enfrançais qu’en russe. Ces traits distinctifs du vocabulairefrançais doivent être mis en évidence dans le cours delexicologie.
Si l’approche diachronique permetd’expliquer l’état actuel du vocabulaire, l’approche synchronique aideà révéler les facteurs qui en déterminent lemouvement progressif. En effet, le développement du vocabulaire se faità partir de nombreux modèles d’ordre formel ou sémantiquequi Sont autant d’abstractions de rapports différents existant entre lesvocables à une époque déterminée. On pourrait citerl’exemple du suffixe — on tiré récemment du mot électronet servant à former des termes de physique (positon, hégaton). L’apparitionde ce suffixe est due à l’opposition du mot électron aux mots dela même famille électrique, électricité.
Le suffixe — Ing d’origine anglaise a deschances de s’imposer au français du fait qu’il se laisse facilementdégager d’un grand nombre d’emprunts faits à l’anglais. Tel aété le sort de nombreux suffixes d’origine latine qui aujourd’huifont partie du répertoire des suffixes français. Parconséquent, les multiples liens qui s’établissent entre lesunités lexicales à une époque donnée créentles conditions linguistiques de l’évolution du vocabulaire. Ainsi lasynchronie se rattache intimement à la diachronie…
§ 3. Le vocabulaire en tant quesystème. Dans la série hardiesse, audace,intrépidité, témérité chacun des membres sedistingue, par quelque indice sémantique quf~eTr constituel’individualité et la raison d’être: hardiesse désigne unequalité louable qui pousse à tout oser, audace suppose unehardiesse excessive, immodérée, intrépiditéimplique le mépris du danger, témérité rendl’idée d’hardiesse excessive qui agit au hasard, et parconséquent, prend une nuance dépréciativeA.
On peut prévoir, sans risque de setromper, que si encore un synonyme venait à surgir il aurait reçuune signification en fonction de celles de «ses prédécesseurs». Et,au con traire, il est probable que la disparition d’un des synonymes seraitsuivie de la modification sémantique d’un des autres membres de lasérie qui aurait absorbé la signification du synonyme disparu.,”. •»'”
4iajis la diachronie les moindresmodifications survenues à quelque vocable se font infailliblement sentirsur d’autres vocables reliés au premier par des liens divers. Il estaisé de s’en apercevoir. Les modifications sémantiques d’un motpeuvent se répercuter sur les mots de la même famille. Le mothabit voulait dire autrefois « état » — ‘cocTOHHHe’; en prenant le sensde « vêtement » il a entraîné dans son développementsémantique le verbe habiller formé de « bille » — ‘partie d’unarbre, d’un tronc préparée pour être travaillée’; ‘l’apparition des dérivés habilleur, habillement,déshabiller est due à l’évolution sémantique duverbe. L’emploi particulier d’un mot peut également avoir pourrésultat la modification de sa signification. AinSj, par exemple, un motqui se trouve constamment en voisinage d’un autre mot dans la parole peut subirl’influence sémantique de ce dernier. Tels sont les cas des substantifspas, point, de même que rien, personne, guère qui ont fini parexprimer la négation sous l’influence de ne auquel ils étaientrattachés.
Il s’en suit que dans l’étude duvocabulaire une importance particulière revient aux rapportsréciproques qui s’établissent entre les unités lexicales.
Le système du lexique, comme toutautre système, suppose l’existence d’oppositions. Ces oppositionss’appuient sur des rapports associatifs ou virtuels existant au niveau de lalangue-système. Elles appartiennent au plan paradig-matique. Chaqueunité lexicale entretient, en effet, divers rapports associatifs avecles autres unités. Prenons l’exemple de F. de Saussure qui est celui dumot enseignement. A partir du radical enseignement est en rapportparadigmatique avec enseigner, enseignons, enseignant, etc.; envisagésous l’angle sémantique il s’associe à instruction,apprentissage, éducation, etc. L’ensemble des unités entretenantentre elles nelle permet au lexicologue de déceler les facultéscomblna-toires des mots et de leurs éléments constituants(constituants immédiats, morphèmes, phonèmes).
L’analyse distributionnelle rejoint laméthode contextuelle qui consiste dans la présentation desphénomènes linguistiques dans un contexte verbaldéterminé. Cette dernière méthode est largementutilisée dans les récents ouvrages lexicographiques soucieux defournir aux usagers un riche inventaire d’emploi des vocables afin d’en rendreplus tangibles les nuances sémantiques et l’usage.
Vu que tout mot construit peut êtretransformé en une construction syntaxique la méthodetransformationnelle s’avère utile lorsqu’on veut en préciser lecaractère et le degré de motivation. Par exemple, latransformation de jardinet — petit jardin nous autorise à affirmer quece mot construit est motivé par le mot jardin qui en est la basedériva-tionnelle; en plus, elle permet de constater le plus hautdegré de la motivation puisque les deux élémentsconstituant le mot jardinet/jardin-et/soni suffisants pour en déterminerle sens (le suffixe — et à valeur diminutive équivalantsémantiquement à ‘petit’). Par contre, la transformation degraveur — personne qui grave, tout en nous renseignant sur le mot de base(graver), n’en épuise pas la signification qui est « personne dont lemétier est de graver » (cf. faucheur — « personne qui fauche »); ce faitsignale une motivation inférieure, dite idiomatique.
Il n’est pas toujours aiséd’établir la direction dérivative pour deux mots qui supposent unrapport dérivationnel. Tel est, par exemple, le cas de socialisme etsocialiste. La méthode transformationnelle permet, en l’occurrence,d’expliciter la direction dérivative: socialiste devra êtreinterprété comme étant dérivé de socialismedu fait que la transformation socialiste — partisan du socialisme est plusrégulière 1 que la transformation socialisme — doctrine dessocialistes. Ainsi la méthode transformationnelle rend un service auxlexicologues dans l’examen des rapports dérivationnels existant au seindu vocabulaire.
Dans les études portant sur lecontenu sémantique des vocables on fait appel à l’analysecomponentielle (ou sémi-que). Cette dernière vise àdéceler les unités minimales de signification (composantssémantiques, traits sémantiques ou sèmes) d’uneunité lexicale (mot ou équivalent de mot). L’analyse componentiellemet en évidence non seulement la structure profonde de la signification1t mais aussi les rapports sémantiques qui existent entre les vocablesfaisant partie des séries synonymiques, des groupeslexico-sémanti-ques, des champs syntagmatiques et autres groupements. Lesméthodes spéciales appliquées en lexicologie visentà décrire de façon plus explicite la forme et le contenudes unités lexicales, ainsi que les rapports formels etsémantiques qu’elles entretiennent.
CHAPITRE II
Le mot.
§ 1. Le mot — unité fondamentale dela langue.
Le mot est reconnu par la grandemajorité des linguistes comme étant une des unitésfondamentales, voire l’unité de base de la langue. Cette opinion qui n’a pas été mise en doute pendantdes siècles a été révisée par certainslinguistes contemporains. Parmi ces derniers il faut nommer desreprésentants de l’école structuraliste, et en premier lieu deslinguistes — américains tels que Harris, Nida, Gleason, selon lesquelsnon pas le mot, mais le morphème serait l’unité de base de lalangue. Conformément à cette conception la langue se laisseraitramener aux morphèmes et à leurs combinaisons a.
Dans la linguistique française onpourrait mentionner Ch. Bally qui bien avant les structuralistesaméricains avait déjà exprimé des doutes sur lapossibilité d’identifier le mot. Son scepticisme vis-à-vis du motperce nettement dans la citation suivante: « La notion de mot passegénéralement pour claire; c’est en réalité une desplus ambiguës qu’on rencontre en linguistique » 9. Après unetentative de démontrer les difficultés que soulèvel’identification du mot Ch. Bally aboutit à la conclusion qu’ « II faut…s’affranchir de la notion incertaine de mot ». En revanche, il propose lanotion de sémantème (ou sème) qui serait « un signeexprimant un* Idée purement lexicale » *, et la notion demolécule
L’asymétrie qui est propre auxunités de la langue en général est particulièrementcaractéristique du mot. Cette asymétrie du mot se manifestevisiblement dans la complexité de sa structure sémantique. Lemême mot a le don de rendre des significations différentes. Lessignifications mêmes contiennent des éléments appartenantà des niveaux différents d’abstraction. Ainsi, le mot exprime dessignifications catégorielles: l’objet, l’action, la qualité. Cessignifications sont à la base de la distinction des parties du discours.A un niveau plus bas le mot exprime des significations telles que lanombrabilité/la non-nombrabilité, un objet inanimé/unêtre animé. A un niveau encore plus bas le mot traduit diversessignifications lexicales différencielles.
Notons encore que le mot constitue uneréalité psychologique: c’est avant tout les mots qui permettentde mémoriser nos connaissances et de les communiquer.
Ainsi, le mot est une unité bienréelle caractérisée par des traits qui Jui appartiennenten propre. Malgré les diversités qui apparaissent d’une langueà l’autre le mot existe dans toutes les langues à ses deuxniveaux: langue-système et parole. Les mots (et,ajoutons, les équivalents de mots) constituent le matériaunécessaire de toute langue.
§ 2. Le mot (son enveloppematérielle) et la notion.
La linguistique marxiste reconnaîtl’existence d’un lien indissoluble entre la pensée de l’homme et lalangue. Déjà K. Marx constatait que lalangue est la réalité immédiate de la pensée,qu’elle est la « conscience réelle, pratique ». « Les idées,disait K. Marx, n’existent pas en dehors de la langue. » L’homme pense au moyende notions qui se combinent en jugements, il communique sa penséeà l’aide de mots qui s’agencent en propositions. Ces catégorieslogiques et linguistiques ‘apparaissent toujours dans leur liaisonétroite.
Notre pensée ne trouve saréalisation que dans la ‘matière, en l’occurrence, dans lamatière sonore (ou graphique, son succédané) sous forme demots et de propositions qui servent à rendre des notions et desjugements. On peut parler de notions pour autant qu’elles sontmatérialisées sous forme de mots (ou d’équivalents de mots).Ceux des linguistes ont tort qui affirment qu’il existe une penséeabstraite non formulée en paroles 1, que « toute pensée, sisimple soit-elle, est incommunicable dans son essence, la langue en donne uneimage schématique et déformée». Il faut donner raisonà F. de Saussure 8 lorsqu’il dit que le son et la pensée sontinséparables de la même manière que le recto d’une feuillede papier est solidaire du verso.
Permettons-nous encore cette comparaisontrès réussie de H. Von Kleist: « L’idée ne préexistepas au langage, elle se forme en lui et par lui. Le Français dit: l’appétitvient en mangeant; cette loi empirique reste vraie quand on la parodie endisant: l’idée vient en parlant ».
Le rôle des mots ne se borne pasà transposer la notion dans la forme verbale, mais à servir demédiateur actif et indispensable dans la formation de la notion, pourson devenir. Le mot participe lui-même à la formation de la notion.
D’après la théorie de laconnaissance de V.I. Lénine, — le mot et la notion présentent uneunité dialectique.
V.I. Lénine dit que tout motgénéralise.
Examinons ce processus.
Dans quel rapport se trouvent le mot et lanotion? Dans quel rapport se trouvent la notion et l’objet de laréalité?
Dans ses «Cahiers philosophiques» V.I. Léninerépond à ces questions. Lénine distingue deuxdegrés de la connaissance.
Lepremier degré consiste dans lasensation, dans la formation de perceptions et de représentationsà partir de la sensation. La sensation est le lien immédiat entrela réalité, le monde extérieur, et la conscience. Lasensation sert de base à la perception et la représentation. Leprocessus de perception s’effectue quand on perçoit directement un*objet par les sens. La perception, c’est l’ensemble des sensations produitespar un objet. On peut se représenter un objet sans, e percevoirdirectement, à l’aide de la mémoire ou de l’ magination. Alors onest en présence du processus de la représentation. Lareprésentation, c’est l’image mentale de l’objet qui n’est pasperçu directement par ies sens. Ainsi, l’homme entre en contact avec laréalité par les sensations, les perceptions et lesreprésentations. Mais ce n’est que le commencement du processus de laconnaissance.
Le deuxième degré de laconnaissance, c’est la généralisation des phénomènesisolés, la formation des notions (ou concepts) et des jugements.
Par la généralisationthéorique, abstraite des perceptions et des représentations, onforme des notions, des concepts. La notion, le concept fait ressortir lespropriétés essentielles des objets, des phénomènesde la réalité sans en fixer les propriétésaccidentelles.
Si nous regardons une rivière nousla percevons; si nous nous souvenons plus tard de cette mêmerivière, nous nous la représentons. L’image concrète decette rivière est, dans le premier cas, une perception, dans ledeuxième — une’ représentation. En faisant ressortir lespropriétés essentielles des rivières engénéral, c’est-à-dire le courant de l’eau, avec ses deuxrives naturelles (à l’opposé d’un canal), etc., nous formons unenotion. La notion, le concept ce n’est plus une image mentale concrète,c’est une abstraction, une généralisation théorique. Lemot rivière s’unit à la notion « rivière »; il sertà nommer non pas une rivière déterminée, maisn’importe quelle rivière, la « rivière » engénéral, autrement dit, ce mot exprime la notion de «rivière » généralisée, abstraite. Le motgénéralise principalement grâce à sa facultéd’exprimer des notions.
La notion (ou le concept) peut êtrerendue par des moyens linguistiques différents: par des mots, desgroupes de mots. C’est pourtant le mot, par excellence, qui sert de moyen pourexprimer la notion. La faculté d’exprimer des notions ou des conceptsest une des caractéristiques fondamentales des mots et de leurséquivalents.
Donc, le mot et la notion (ou le concept) constituentune unité dialectique. Pourtant unité ne veut pas direidentité. De même qu’il n’y a pas d’équivalence, voire, desymétrie, entre la pensée et la langue, il n’y a pointd’identité entre le mot et la notion. Un mot, précisémentson enveloppe matérielle, peut être lié à plusieursnotions et, inversement, la même notion est parfois rendue par des motsdifférents.
Il est nécessaire de faire ladistinction entre les notions de la vie courante, ou les notionscoutumières, et les concepts à valeur scientifique. Ainsi, lemême mot rivière exprime tout aussi bien une notioncoutumière qu’un concept scientifique. Le concept scientifiquereflète les propriétés véritablement essentiellesdes objets et des phénomènes consciemment dégagésdans le but’spécial de mieux pénétrer et comprendre laréalité objective.
Les concepts scientifiques sontexprimés par les nombreux termes appartenant aux diverses terminologies.
La notion coutumière reflètedans notre conscience 1 0 s propriétés distinctives essentiellesdes objets et des phénomènes. Les notions coutumièresn’exigent pas de définitions précises et complètes aumême titre que les concepts scientifiques qui veulent une extrême précision.Dans son activité journalière l’homme a surtout affaire auxnotions coutumières qui servaient la pensée humainedéjà bien avant l’apparition des sciences. Aujourd’hui commeautrefois la plupart des mots d’un emploi commun expriment dans le langageprincipalement des notions coutumières.
Les notions coutumières demême que les concepts scientifiques se précisent et seperfectionnent grâce au processus universel de la connaissance de laréalité objective.
Les notions, les concepts peuventêtre réels et irréels. Ils sont réels àcondition de refléter les propriétés des objets et desphénomènes de la réalité objective. Tels sont: électricité,atome, oxygène, hydrogène; matière, réalité,jugement, concept; science, mot, morphème, préfixe, suffixe; homme,société, enfant, etc. Les notions et les concepts irréelssont aussi des généralisations abstraites, mais ils nereflètent pas des objets et des phénomènes existants; telssont: ange, diable, paradis, enfer, sorcier, panacée, pierrephilosophale, centaure, etc. Un grand nombre de ces notions a étécréé par la religion qui les présentait comme des conceptsréels et justes. Les notions et les concepts irréels ne sontpourtant pas entièrement détachés de laréalité objective. Ils reflètent des morceaux, desfragments de la réalité combinés arbitrairementgrâce à l’imagination. L’homme vérifie la justesse etl’objectivité de ses connaissances en se réglant sur la pratiquequotidienne. C’est la pratique quotidienne qui permet de distinguer ce qui estjuste de ce qui est faux dans nos perceptions, nos représentations, nosnotions et jugements. Elle est la base du processus de la connaissance àson premier et son deuxième degré. La pratique est lecritère suprême de toute connaissance:
«De l’intuition vivante à lapensée abstraite, et d’elle nature: elle se situe non plus au niveaulexical, mais au niveau grammatical de la langue. Certains mots-outilstraduisent les rapports existant entre les notions et les jugements (tels sontles prépositions, les conjonctions, les pronoms relatifs, les verbesauxiliaires copules), d’autres précisent en les présentant sousun aspect particulier les notions rendues par les mots qu’ils accompagnent(ainsi, les articles, les adjectifs possessifs et démonstratifs).
Signalons à part les termes modauxqui n’expriment pas de notions, mais l’attitude du sujet parlant envers eequ’il dit, par exemple: évidemment, probablement, peut-être,n’importe, etc.
Remarquons qu’aux yeux de certainslinguistes * tout mot posséderait forcément la fonctionrationnelle. Ainsi, les noms propres de personnes et d’animaux rendraient lanotion très générale de l’homme ou de l’animal(Médor serait toujours un chien, tandis que Paul, s’associeraitrégulièrement à l’homme). Les interjections ne traduiraientpas les émotions du locuteur en direct, mais par le truchement desnotions correspondantes (Pouah I rendrait l’idée d’un granddégoût tiens 1 — celle d’une surprise). Cette conception, qui nemanque pas d’intérêt, fait toutefois violence auxphénomènes linguistiques.
Si l’on compare, quant à leurcontenu sémantique, les mots homme et Emile pris isolément ladifférence apparaîtra nettement. Le mot homme rendra effectivementla notion générale de « être humain douéd’intelligence et possédant l’usage de la parole», il n’en sera rienpour Emile qui n’exprimera pas plus la notion d’« homme » que Mlnouche celle du« chat ». Donc, au niveau de la langue-système Emile et Minouche sontdépourvus de la fonction rationnelle. Il en est autrement au niveau dela parole. C’est justement ici que les noms propres de personnes et d’animauxse conduisent à l’égal des noms communs. En effet, les premiers,aussi bien que les derniers, exprimeront des notions particulières. (Cf.Jean viendra — Cet homme viendra)
Donc, les noms propres de personnes etd’animaux posséderont la fonction rationnelle (et, évidemment, lafonction nominative) au niveau de la parole.
Aussitôt qu’un nom propre acquiert lafaculté d’exprimer une notion générale (cf. un Harpagon,un Tartufe) il sera promu au rang des noms communs et deviendra un mot àfonction rationnelle au niveau de la langue.
Confrontons à présent pouah! etdégoût. Si dégoût rend bien une notiondéterminée tout en la nommant, pouah 1 traduit en direct unsentiment, une émotion causée par unphénomène-dé la réalité. Tout comme lesnotions les émotions reflètent la réalité. Toutefoisces réverbérations émotives se situent à un niveauinférieur en comparaison de la notion. Donc, les interjectionspossèdent uniquement la fonction affective aux deux niveaux de la langue.C’est dans le fait que les interjections rendent nos sentiments et non pas desnotions-qu’il faut chercher l’explication du caractère souvent flottant,imprécis de leur signification.
§ 3. La signification en tant que structure.La linguistique marxiste insiste sur la nécessité d’envisager lasignification comme un des ingrédients du mot.
Ceux des linguistes qui voudraientdépouiller le mot de son contenu sémantique, l’interprétercomme un phénomène purement formel ne tiennent pas compte de lafonction essentielle de la langue — celle de communication. C’est le casdé certains structuralistes américains qui ont exclu lacatégorie de la signification de leurs recherches. Les étudespurement formelles des phénomènes linguistiques présententla langue d’une façon tronquée, incomplète. Ainsi lerenoncement à la signification cause de grands inconvénients. Unlinguiste, pour peu qu’il veuille connaître la nature des faits qu’il sepropose d’étudier, ne saurait se borner à l’examen du plan «expression » et devra pénétrer plus avant le plan « contenu ». Souvenons-nousdes paroles de L. Tcherba; il disait que celui qui renonce ‘à lacatégorie de la signification en tue ljâme. Plus récemmentE. Benveniste a trouvé une autre image pour rendre la mêmeidée: « Voici que surgit le problème qui hante toute lalinguistique moderne, le rapport forme: sens que maints linguistes voudraientréduire à la seule notion de forme, mais sans parvenir àse délivrer de son corrélat, le sens. Que n’a-t-on tentépour éviter, ignorer, ou expulser le sens? On aura beau faire: cettetête de méduse est toujours là, au centre de la langue,fascinant ceux qui la contemplent ».
La linguistique française n’estjamais allée jusqu’à exclure de la langue la signification. Toutefoisles termes «sens» •et «signification» du mot n’y ont pas reçu dedéfinition précise. Certains linguistes les emploient sanscommentaire comme si ces notions ne soulevaient aucun doute; d’autreséludent consciemment le problème. Il est connu que F. de Saussure« pour ne pas s’embrouiller dans toutes les controverses instituéesà ce sujet, avait préféré ne pas faire allusionà la signification ou au sens des mots. Il avait parlé de «signifié » et de « signifiant »…1
Dans la linguistique soviétique leproblème n’a pas été seulement posé, mais largementélaboré.
Les linguistes paraissent s’entendre pourattribuer à tout mot une signification soit* lexicale, soit grammaticale.On reconnaît que les mots sont porteurs de significations grammaticaleslorsqu’ils expriment des rapports entre les notions et les jugements ou bienquand ils servent à déterminer les notions.3
Les linguistes conçoiventdifféremment la signification lexicale du mot.8
Il est évident que la significationdu mot n’est pas l’objet ni le phénomène auquel elle s’associe; cen’est point une substance matérielle, mais un contenu idéal. Ilreste pourtant vrai que sans ces objets et phénomènes de laréalité les significations des mots n’existeraient pas. Cettethèse est également valable pour les mots exprimant des notionsréelles et irréelles.
La signification du mot n’est point nonplus le lien entre l’enveloppe sonore d’un mot et les objets ouphénomènes de la réalité, quoique cette opinionsoit assez répandue. Par lui-même ce lienentre l’enveloppe sonore des mots et les objets et phénomènes dela réalité ne peut expliquer la diversité dessignifications.
Les linguistes soviétiques estimentque la signification est avant tout une entité idéale qui ne peuts’identifier avec quelque rapport. Il est toutefois indispensable d’enpréciser la nature.
Tout*«en reconnaissant lafaculté généralisatrice du mot on oppose parfois lasignification à la notion, la première étantinterprétée comme catégorie linguistique et la seconde,comme catégorie logique. Seuls les termes seraient susceptiblesd’exprimer des notions, alors que la majorité des mots exprimeraient dessignifications. En effet, la signification des termes se distingue de celle desmots non terminologiques par son caractère scientifique et universel. Iln’en reste pas moins vrai que tout mot reflète la réalitéobjective, qu’il soit un terme ou non. C’est pourquoi tout mot en tant quegénéralisateur se rattache nécessairement à lanotion. On peut dire que la notion rendue par un mot constitue le composantfondamental de sa signification. Il est notoire que les notions(précisément les notions coutumières) exprimées pardes mots correspondants appartenant à des langues différentes necoïncident pas toujours exactement, ce qui se fait infailliblement sentirsur la signification de ces mots.
§ 4. Le sens étymologique du mot. Lesmots motivés et Immotivés. Depuis longtemps les linguistes sesont affranchis de l’opinion simpliste qui régnait parmi les philosophesgrecs antiques selon laquelle le mot, le « nom » appartient à l’objetqu’il désigne. Il est évident qu’il n’y a pas de lien orga^ niqueentre le mot, son enveloppe sonore, sa structure phonique et l’objet qu’ildésigne. Pourtant le mot, son enveloppe sonore, est historiquementdéterminé dans chaque cas concret. Au moment de son apparition lemot ou son équivalent tend à être unecaractéristique de la chose qu’il désigne. On a appelévinaigre l’acide fait avec du vin, tire-bouchon — une espèce de vis pourtirer le bouchon d’une bouteille. Un sous-marin est une sorte de navire quinavigue sous l’eau et un serre-tête — une coiffe ou un ruban qui retientles cheveux. Il en est de même pour les vocables existantdéjà dans la langue, mais servant à de nouvellesdénominations. Par le mot aiguille on a nommé le sommet d’unemontagne en pointe aiguë grâce à sa ressemblance à uneaiguille à coudre.
L’enveloppe sonore d’un mot n’est pas dueau hasard, même dans les cas où ‘elle paraît l’être. Latable fut dénom mée en latin « tabula » — ‘planche’ parcequ’autrefois une planche tenait lieu de table. Le mot latin « calculus » — ‘caillou’servait à désigner le calcul, car, anciennement, on comptaità l’aide de petits cailloux.
La dénomination d’un objet estbasée sur la mise en évidence d’une particularitéquelconque de cet objet.
Il est aisé de s’apercevoird’après ces exemples que le sens étymologique des mots peut neplus être senti à l’époque actuelle.
En liaison avec le sens étymologiquedes mots se trouve la question des mots motivés et immotivés sansqu’il y ait de parallélisme absolu entre ces deuxphénomènes.
Nous assistons souvent à laconfusion du sens étymologique d’un mot et de sa motivation. Toutefoisle sens étymologique appartient à l’histoire du mot, alors que lamotivation en reflète l’aspect à une époque donné.
Tous les mots d’une langue ontforcément un sens étymologique, explicite ou implicite, alors quebeaucoup d’entre eux ne sont point motivés. Tels sont chaise, table,main, sieste, fortune, etc. Nous aurons des mots motivés dansjournaliste, couturière, alunir, porte-clé, laisser-passer, dontle sens réel émane du sens des éléments composantscombinés d’après un modèle déterminé. Lamotivation de ces mots découle de leur structure formelle, et elle estconforme à leur sens étymologique. Il en est autrement pourvilenie dont la motivation actuelle est en contradiction avec le sensétymologique puisque ce mot s’associe non plus à vilain, commeà l’origine, mais à vil et veut dire « action vile et basse. »
§ 5. Caractéristique phonétiquedes mots en français moderne. Nous nousbornerons ici à noter certains traits caractérisant les motsfrançais quant à leur composition phonique et leur accentuationdans la chaîne parlée.1
Les mots français sontcaractérisés par leur brièveté. Certains seréduisent à un seul phonème. Il s’agit surtout de mots nonautonomes (ai, eu, on, est, /’, d\ etc), les mots autonomes à unphonème étant exclusivement rares (an, eau).
Par contre, les monosyllabes sonttrès nombreux dans ces deux catégories de mots (le, les, des,qui, que, mais, main, nez, bras, monte, parle, etc). Ces monosyllabes sontparmi les mots les plus fréquents.
L’analyse d’un certain nombre de textessuivis a permis de constater que les mots contenant une syllabe forment environ61% et les mots à deux syllabes forment près de 25% de l’ensembledes mots rencontrés. Cet état de choses est le résultatd’un long développement historique qui remonte à l’époquelointaine de la formation de la langue française du latin populaire (ouvulgaire). Pour la plupart les monosyllabes sont le résultat desnombreuses transformations phonétiques subies par les mots latinscorrespondants formés de deux ou trois syllabes; cf.: homme
Le français possèdenaturellement des mots à plusieurs syllabes; toutefois il y avisiblement tendance à abréger; es mots trop longs auxquels lalangue semble répugner (métropolitain > métro,stylographe > stylo, piano-forte > piano, automobile > auto,météorologie
Cette tendance à raccourcir lesmots, qui s’est manifestée à toutes les époques, a pourconséquence un autre phénomène caractéristique duvocabulaire français — l’homonymie) Un grand nombre de mots acoïncidé quant à la prononciation à la suite demodifications phonétiques régulières.
C’est surtout parmi les monosylabes quel’on compte un grand nombre d’homonymes; cf.: ver
L’association des maires de France,
L’association des mères de France,etc. Or, pour échapper à l’ambiguïté, il suffit dedire dans le deuxième cas:
L’association des mèresfrançaises,. etc. » 8
Quant à la syllabation des mots françaiselle est reconnue comme étant remarquablement uniforme et simple. Cesont les syllabes ouvertes qui forment près de 70% dans la chaîneparlée. Surtout fréquentes sont les syllabes ouvertes du typeconsonne-voyelle (par exemple: [a-vi-za-se] — envisager, \ede-pâ-dâ] — indépendant), moins nombreuses sont lessyllabes des types consonne-consonne-voyelle et voyelle (par exemple: [blé-sel- blesser, [tru-ble] — troubler, [e-ku-te] — écouter). Parmi lessyllabes fermées on rencontre surtout le type consonne-voyelle-consonne(par exemple: [sur-nal] — journal, [par-tir] — partir). Les autres types sontrares. * Cette particularité de la structure syllabique des motsfrançais contribue à son tour à l’homonymie.
Le mot français peut commencer parn’importe quelle consonne, toutefois les semi-consonnes initiales [j] [w] [uj
,sont rares; de même que le h«aspiré» (haine, haïr, haricot, haie, onze, un (nom de nombre, etc).
On ne compte qu’un certain nombre de motscommençant par [z] (zèbre, zéro, zinc, zone, zoo), par un[t]] dans l’argot ou le langage familier (gnaule, gnaf, gnouf).
Relativement peu nombreuses aussi sont lescombinaisons de consonnes au début du mot. Ce sont, au caséchéant, des groupes de deux consonnes dont le premierélément est une occlusive [p], [t], [k], [b], [dl, [g] ou unespirante labiale [f], [v] suivie d’une liquide [1], [r] ou d’une semi-voyelle [w],
lj], luJ-
Ce sont aussi les combinaisons initialescomportant trois consonnes dont une liquide et une semi-voyelle: [prw], [plw],[plq], [trw], [trq], [krw], [krq], etc.
Les autres combinaisons de deux ou de troisconsonnes aussi bien au début qu’à l’intérieur du mot sontrares (pneumatique, phtisie, stress, strident, strapontin, esclandre, escrime),apparaissant, comme règle, dans des mots d’emprunt.
Quant aux voyelles le françaisrépugne aux hiatus à l’Intérieur des mots (cf. appréhender,méandre), il est exempt de diphtongues.
Notons aussi le service rendu par lesphonèmes dans la distinction des vocables différents.
A. Sauvageot souligne le rôleexclusif de la consonne initiale dans la différenciation des mots. « IIarrive, dit-il, qu’une même voyelle fournisse presque autant de vocablesqu’il y a de consonnes pour la précéder: pont/ ton/ bon/ don/gond/ fond/ font/ vont/ long/ mont/ nom/ rond/ sont/ son/ jonc/, etc. »
La voyelle aussi a une valeurdifférencielle très impor tante. Dans le schémaconsonnantique. p-r selon la voyelle on a: „
par, part
port, porc, pore
pour
père, paire, pair
peur
pur
Telles sont à grands traits lespossibilités combinatoires des phonèmes français.
Dans la langue russe les mots dans lachaîne parlée sont généralement marqués del’accent tonique, ce c [ui facilite leur délimitation. Il en estautrement pour le français où les mots phonétiquement selaissent difficilement isoler dans le discours; privés de l’accenttonique propre, ils se rallient les uns aux autres en formant une chaîneininterrompue grâce aux liaisons et aux enchaînements. Ondégage, en revanche, des groupes de mots représentant uneunité de sens et qui sont appelés « groupes dynamiques ourythmiques » avec un accent final sur la dernière) voyelle du groupe.
Cette particularité del’accentuation fait que le mot français perd de son autonomie dans lachaîne parlée. La délimitation phonétique des motsémis dans la parole en est enrayée. Ceci explique lesmodifications de l’aspect phonétique survenues à certains mots aucours des siècles. Les uns se sont soudés avec les mots qui lesprécédaient, dont l’article défini; c’est ainsi que ierreest devenu lierre, endemain — lendemain, nette — luette, oriot-loriot; d’autres,au contraire, ont subi une amputation: lacunette (=petit canal) s’esttransformé en la. cunette car on a pensé à l’articleprécédant un substantif; de même ni1 amie aété perçu comme ma mie et l’agriotte comme la griotte(dans l’argot).
Toutefois il serait abusif d’insister surl’absence totale de limites entre les mots dans la chaîne parléeen français. En effet, certains indices phonétiques contribuent àdégager les mots dans le discours. Ainsi, par exemple, le son [z] quiapparaît dans les liaisons signale la jointure entre deux mots. Il en est de même de l’hiatus qui, comme nous l’avonssignalé, est rare à l’intérieur du mot, mais assezrégulier à la limite des mots.1 Un indice important estl’éventualité d’une pause en fin de mot dans la chaîneparlée.
§ 6. Caractéristique grammaticale dumot en français moderne. Les unitésessentielles de — la langue étroitement liées l’une àl’autre sont le mot et la proposition. Les mots acquièrent dans laproposition une force particulière en tant qu’élément dela communication. C’est en se groupant en propositions d’après lesrègles grammaticales que les mots manifestent leur facultéd’exprimer non seulement des notions, des concepts, mais des idées, desjugements. Dans la proposition les mots autonomes remplissent les fonctions dedifférents termes, dits termes de la proposition (du sujet, du verbe, ducomplément, etc), tandis que les mots non — autonomes établissentdes rapports\variés entre les termes ou les parties de la proposition. Lafaculté de former des propositions afin d’exprimer des. jugementsconstitue une des principales caractéristiques grammaticales des mots. “iUne autre particularité du mot consiste dans ce qu’il appartientà une des parties du… discours… Ainsi, on distingue les substantifs,les adjectifs, les adverbes, les verbes, les pronoms, etc. Les parties dudiscours sont étudiées par la grammaire: elles constituent labase de la morphologie. C’est à partir des propriétés desparties du discours que la grammaire crée les règles desgroupements de mots, les règles qui sont le produit d’un long travaild’abstraction de la mentalité humaine. Il serait pourtant faux detraiter les parties du discours de catégories purement grammaticales. Eneffet, les parties du discours se distinguent les unes des autres par leur senslexical: les substantifs désignent avant tout des objets ou, desphénomènes, les verbes expriment des actions ou des états;les adjectifs — des qualités, etc. C’est pourquoi il serait plus justede nommer les parties du discours catégories lexico-grammaticales.
La composition morphémique des motsest aussi étudiée par la grammaire, pourtant elle a unintérêt considérable pour la lexicologie. La facultédu mot de se décomposer en morphèmes présente une descaractéristiques grammaticales du mot qui, en particulier, le distinguedu morphème. Ce dernier, étant lui-même la plus petiteunité significative de la langue, ne peut être décomposésans perte de sens. Ainsi, le mot amener comporte trois morphèmes: a-tnen-er,mais on ne peut plus décomposer ces derniers en plus petitesunités significatives. On peut seulement en déterminer lastructure phonique, en isoler les phonèmes. Les phonèmes nepossèdent point de sens propre, ils ne servent qu’à distinguerles morphèmes: (cf.: amener et emmener; mener et miner). Ce sontprincipalement les mots autonomes qui se laissent décomposer enmorphèmes. Quant aux mots-outils, dont beaucoup se rapprochent àcertains égards des morphèmes, ils constituentgénéralement un tout indivisible.
Parmi les mots autonomes, il y en a desimples qui sont formés d’une seule racine. Tels sont: homme, monde,terre, ciel, arbre, table, porte, chambre, etc. Ces mots pourraient êtreaussi appelés « mots-racines ». Plus souvent les mots contiennent une ouplusieurs racines auxquelles se joignent des affixes (les préfixesplacés avant et les suffixes placés après la racine) etles terminaisons (ou désinences). On dis — lingue encore le thème(ou le radical), c’est-à-dire la partie du mot recelant le sens lexicalet précédant la terminaison. Ainsi, dans l’exemple: Nousdémentons les calomnies des fauteurs de guerre, le mot démentonscomprend la racine — ment-, le préfixe dé-, le thèmedément-, la terminaison — ons. La racine recèle le sens lexicalfondamental du mot. Le thème qui comporte tout le sens lexical du mots’oppose à la désinence qui est porteur d’un sens grammatical.
Dans le français moderne lethème apparaît exclusive-, ment dans la conjugaison des verbes quiont conservé jusqu’à présent des traits de l’anciensynthétisme, tandis que dans les nominaux, depuis la destruction, dusystème de déclinaison, le thème ne se laisse plusdégager, il coïncide avec le mot. Les finales des substantifs etdes adjectifs telles que animal — animaux, paysan — paysanne; blanc — blanche,fin — fine ne sont plus des désinences mais de simples alternancesphoniques à valeur grammaticale.
Dans les travaux des linguistesfrançais le terme « thè me » s’emploie encore pourdésigner la partie du mot à la —. quelle s’applique l’un oul’autre affixe servant à former ce mot. Il serait plus exact de nommercette partie du mot thème de formation (ou «base formative»), afin de ladis tinguer du « thème » proprement dit qui s’oppose à ladési nence à valeur grammaticale. Ainsi, par exemple, dans ac climatationle thème de formation est présenté par la partie acclimat- à laquelle s’applique le suffixe — ation. Les thèmes deformation peuvent être ou non en corrélation avec des mots indépendants.Ils sont respectivement appelés libres comme dans refaire,laitière, cache-nez (cf. faire, lait, cache, nez) et liés commedans fracture, bibliothèque (cf. fraction; biblio phile; filmothèque).A l’encôntre du «thème», «le thème de formation » ne,recèle guère, comme règle, tout le sens lexical du mot. ‘»ff’• ‘
Les affixes appliqués authème de formation peuvent tout simplement en modifier le sens. Telssont les cas de jardinet, maisonnette, refaire. Plus souvent les rapportssémantiques entre le thème de formation et l’affixe sont pluscompliqués; dans ces derniers cas, on crée des mots qui sedistinguent essentiellement par leur sens du thème de — for-mation. Ainsile mot Français (m) n’exprime point une espèce de France, mais unhabitant de ce pays; une laitière n’est pas une sorte de lait, mais unefemme qui vend ce produit.
Donc, les affixes peuvent conféreraux mots qu’ils for tique et ne servent qu’à former les variantes,grammaticales dêsverbes, _ce qui nous autorise à les qualifier demorphèmes. — Il n’est ^ârTois pas moins difficiled’établir’les., limites. entre un mot et un groupe de mots. Parmi leslinguistes soviétiques qui ont traité le problème du motet ses limites, il faut nommer tout d’abord le professeur A.I. Smirnitsky. Il adémontré de façon probante que le mot estcaractérisé par une intégrité sémantique etformelle. Toutefois, l’intégrité sémantique qui se traduitpar la faculté d’exprimer une notion, un concept, caractérise nonseulement les mots, mais aussi bien les groupes de mots. Il en est autrementpour l’intégrité formelle qui appartient en propre aux mots etsert, par conséquent, de véritable critère distinctif. ‘
_ Pour la plupart, les mots se laissentaisément distinguer des groupes de mots; tel est le cas des mots simplesou mots-racines et des mots dérivés formés parl’adjonction d’af-fixes. La distinction des mots composés, qui par leurstructure se rapprochent le plus des groupes de mots, présente desérieuses difficultés. Celles-ci sont surtout grandes dans lalangue française où les mots cb’mposés sont souventformés d’anciens, groupes de mots.
En appliquant à la languefrançaise le critère avancé par le professeur A.I. Smirnitsky,on devra reconnaître que les formations du type fer à repasser,chemin de fer% pomme de terre sont, contrairement à l’opinion de laplupart des linguistes français, des groupes de mots, tandis quebonhomme^ basse-cour, gratte-ciel sont des mots.
Donc,, il faut faire la distinction entreun mot et un morphème, d’un côté, un mot et un groupe demots, de l’autre 1 II reste fort à faire pour fixer les limites du mot; c’estun problème ardu qui exige un examen spécial pour chaque langue.
§ 7. L’identité du mot. Envisagésous ses aspects phonétique, grammatical et sémantique le motprésente un phénomène complexe. Pourtant dansl’énoncé, dans chaque cas concret de son emploi, le motapparaît non pas dans toute la complexité de sa structure, maisdans une de ses multiples formes, autrement dit, dans une de ses variantes.
Comment savoir si nous avons affaireà des mots distincts ou aux variantes d’un seul et même mot? Demême que pour les mots différents les variantes admettent desdistinctions d’ordre matériel (l’enveloppe sonore) et d’ordreidéal (le sens). Toutefois ces distinctions matérielles etidéales ne sont possibles que dans une certaine mesure, dans un cadredéterminé. Pour les variantes ces distinctions ne seront quepartielles et ne détruiront jamais l’intégrité du mot.
Quelles sont donc les variantes possiblesd’un mot?
Ce sont:
-les variantes de prononciation: [mitinl et[miteg] pour meeting, iby] et [byt] pour but, [u] et [ut] pour août, [mœ:r] et [moers] pour mœurs, [egzal et [egzakt] pour exact, [k5ta] et [kôtakt]pour contact; — les variantes grammaticales:
dors, dormons, dormez; — les variantespseudo-formatiyes (lexico-grammaticales): maigrichon et maigriot, maraude etmaraudage; — les variantes lexico-sémantiques:
notionnelles: palette — « plaque surlaquelle les pein tres étalent leurs couleurs » et « coloris d’unpeintre »;
notionnelles-affectives: massif — «épais, pesant », au figuré esprit massif — « grossier, lourd »; moisir- « cou vrir d’une mousse blanche ou verdâtre qui marque un commen cementde corruption », au figuré moisir quelque part — « de meurer inutile,improductif »;
-les variantes stylistico-fonctionnelles:
à support phonique: oui — littéraireet ouais — po pulaire, aristocrate — littéraire et aristo — familier;
à support notionnel-affectif: marmite- «récipient»
littéraire et « gros obus» — familier;
les variantes orthographiques: gaîmentet gaiement, soûl et — saoul.
Il est à noter,que les modulationsgrammaticales et stylistico-fonctionnelles n’attaquent jamais l’intégritédu mot. Dans j’ai dormi et je dormirai nous avons le même verbe dormirmalgré l’opposition des temps.
Il en est autrement pour les modulationsphoniques et notionnelles. Des distinctions phoniques ou notionnelles radicalesamèneraient à l’apparition de mots différents. En effet,malgré l’identité de leur aspect phonique calcul — «opération arithmétique » et calcul — « concrétionspierreuses » sont deux mots du fait que les notions qu’ils expriment n’ont riende commun. Les termes thème et radical à sonoritédifférente sont des mots distincts malgré l’identité deleur valeur sémantique. Pour qu’il y ait variantes d’un même motil ne doit pas y avoir d’interdépendance
entre les modulations dans leur enveloppesonore et leur valeur notionnelle, mais il suffit d’avoir en commun quelquetrait fondamental quant à l’aspect phonique et la valeur notionnelle. Pourl’aspect phonique cette communauté se traduit par la présence dansles variantes de la même racine qui constitue la base de la structurematérielle du mot. La communauté notionnelle consiste dans lelien qui s’établit entre les divers sens du «mot.